mardi, février 07, 2006

Vagalame



Postée à la vigie tout en haut du mat principal, la jeune femme observe la côte de plus en plus proche, un air bougon sur le visage. Difficile de voir que c’est une femme, ses cheveux noirs sont coupés courts, sa peau est tannée par le soleil, elle porte en outre une large chemise pour cacher ses formes. Seuls ses grands yeux verts apportent de la douceur à son visage.

Sa vie de marin est terminée, son père capitaine de navire marchand en a décidé ainsi. La jeune femme soupire, elle n’a jamais connut rien d’autre que la mer, les marins, les embruns, l’agitation lors des grains, les jeux sur le pont lors des périodes d’accalmies...
Mais le capitaine ne pourra plus cacher longtemps la nature de ce marin agile et frêle… Il ne veut pas prendre le risque de perdre son unique enfant. Son équipage est si superstitieux… une femme à bord ça porte malheur ! Elle risquerait d’être jetée par-dessus bord… dans le meilleur des cas…

L’adolescente qui pouvait aisément passer pour un jeune garçon n’est plus. Depuis seize ans, Vagalame n’a apporté que joie et fierté à son père et c’est la mort dans l’âme que ce dernier doit se résoudre à la débarquer à Menethil. Si seulement il avait eut un fils… Sa compagne étant décédée en couche, le vieux marin n’a pas eut le courage de confier la fillette à une nourrice.
Vagalame ne s’est jamais plaint, son cœur est tourné vers la mer, il le sait. Elle a accepté sans broncher la dure vie à bord, le nettoyage du pont, les manœuvres, les veille de quart la nuit… Le vieil homme est ému, sa vie sera bien terne sans la jeune fille qui le rejoignait après sa veille pour l’écouter raconter des histoires… des histoires de mer, de créatures fantastiques, d’abordages sanglants, des histoires de marins bien sur ! La fillette écoutait, les yeux écarquillés, sans un mot, puis elle finissait par s’endormir un sourire aux lèvres. Il se souvient aussi des leçons d’escrime que les hommes d’équipage inculquaient à leur petite mascotte. Vagalame a toujours été douée d’après ses hommes. Il ne peut s’empêcher de sourire fièrement. Si ces derniers savaient qu’ils avaient appris le maniement des armes à une fille…

Le timonier hurle ses ordres : préparez la manœuvre ! Baissez les voiles !

Le capitaine soupire tristement et sort sur le pont pour veiller à la bonne marche des opérations.
Vagalame est à la manœuvre avec les autres marins, pour la dernière fois. Elle agit sans y penser, ses gestes sont surs et guidés par l’habitude. Une fois le bateau à quai, il reste à décharger les marchandises, mais cette fois la jeune femme n’y participera pas. Elle suit son capitaine et père dans la taverne du port, la tête baissée comme pour une punition. Aucun des deux ne parle, tout a été déjà dit. Ils n’ont pas le choix.

Quelques heures plus tard, le vieux marin sort seul après avoir serré une dernière fois sa fille dans ses bras. Une larme perle sur son visage buriné. Il rejoint son navire sans se retourner.


La nuit est tombée sur Menethil, une fenêtre s’ouvre à l’étage de la taverne, une tête brune ébouriffée apparaît, puis deux mains balancent un gros sac sur le sol. Vagalame suit bientôt le chemin de son sac. Elle a pris sa décision, elle ne restera pas au service de cet aubergiste malgré la promesse faite à son père. Sa vie ne sera pas de servir à boire aux hommes de passage. Elle pense aller chercher du travail à Stormwind, ville natale de son père.
Sans un regard en arrière Vagalame s’éloigne rapidement. La frêle silhouette disparaît rapidement dans l’ombre et le brouillard….